JUAN FERNANDEZ KROHN AVAIT VOULU TUER LE PAPE,AU PORTUGAL EN 1982
DES BARREAUX DE FATIMA AU BARREAU DE BRUXELLLES
Condamné pour tentative d'homicide sur Jean-Paul II, l'ex-prêtre espagnol est menacé de radiation... de l'ordre des avocats de Bruxelles.
De la soutane à la toge: l'histoire paraît invraisemblable mais elle est vraie! Juan Fernandez Krohn, l'ex-prêtre intégriste qui avait tenté d'assassiner le pape Jean-Paul II, à coups de baïonnette Mauser lors de sa visite à Fatima, à la mi-mai 1982 était avocat stagiaire au Barreau néerlandophone de Bruxelles depuis le mois de novembre dernier.
Celui que même la Fraternité Saint-Pie X d'Ecône - les lefebvristes... - avait rejeté définitivement de ses rangs à la suite de cet événement aurait même pu entamer une carrière, place Poelaert s'il n'avait «vendu le morceau» en placardant au Palais, un tract à la gloire d'Isabelle la Catholique, cette reine qui ordonna l'expulsion des Juifs d'Espagne à la fin du XVe siècle. Non point pour tenter de faire avancer sa cause en béatification - elle a été suspendue... - mais pour faire part de son attachement au révisionnisme!
Comme certains avocats s'émurent de ce peu orthodoxe confrère, celui-ci démontra qu'il pouvait aussi se battre au sens propre en s'en prenant à son bâtonnier, Me Eric Carre. Résultat: sorti du Palais, menottes aux poings, il risque de ne plus pouvoir y retourner côté Cour car il passera d'ici peu devant le conseil de l'Ordre qui pourrait lui signifier sa radiation...
C'est bien de tentative d'homicide qu'avait été inculpé celui que l'on présenta à l'époque comme un «fanatique religieux». Fernandez-Crohn se défendit en disant qu'il voulait simplement approcher le Pape pour l'injurier à propos de ses positions sur la Pologne, le communisme international et l'ouverture excessive de Vatican II. Onze ans plus tard, il n'en démord pas, prétendant simplement avoir voulu monter un coup médiatique contre ce pape arrivé au pouvoir grâce aux communistes. Et d'ajouter qu'il n'avait jamais aussi bien dormi que cette nuit-là: J'ai eu le sommeil le plus reposant de ma vie comme si tous les anges du ciel s'étaient rassemblés autour de mon lit...
Condamné à sept ans de prison, il fut libéré dès 1985 pour bonne conduite. Il voulut d'abord refaire sa vie en France mais atterrit à Madrid. Licencié en sciences économiques et en droit, il déclara, à l'époque, vouloir changer de vie, tout en s'adonnant à la méditation. L'ancien prêtre intégriste prit même femme, une Anversoise dont il est toutefois séparé depuis lors.
Il reprit des études à Gand et à la VUB. C'est justement grâce à une équivalence de diplômes qu'il pourra entrer par la grande porte de «Poelaert». À l'époque, il mentira par omission, lorsqu'on lui demandera l'état de son casier judiciaire. Et maintenant, il s'en défend en arguant qu'il pensait que la question ne visait que la Belgique.
À l'heure de l'Europe, explique Me Carl Bevernage, le vice-bâtonnier de l'Ordre néerlandais dans lequel Juan Fernandez Krohn s'était inscrit, on ne contrôle plus comme jadis l'inscription de confrères issus de la CEE. Sans doute, le Parquet général aurait-il pu pousser plus loin la vérification mais cela eût été vu comme un acte discriminatoire à l'égard d'un non-Belge. Et comme il avait un diplôme équivalent en poche! Cela dit, les listes des récipiendaires sont aussi affichées dans les vestiaires des Barreaux mais comme il y en a, bon an, mal an, 120 au rôle néerlandais et un peu plus au rôle français, le contrôle social s'avère laborieux. Qui se souvenait du reste qu'un an après Ali Agça, à Rome, un «illuminé» avait voulu attenter à la vie de Jean-Paul II. Enfin, si on avait débusqué le militant anti-papiste, il faut encore se poser la question éthique de savoir si l'on peut ou non accepter un ex-délinquant qui voudrait passer de l'autre côté du banc des accusés. Reste à dire, enfin, qu'au Palais, on fait preuve d'une grande discrétion autour de l'avocat chevronné qui a présenté le stagiaire, selon l'article 429 du Code judiciaire. À l'évidence, il a été ébloui, malgré lui, par «l'illuminé de Fatima»...
CHRISTIAN LAPORTE
Mercredi 16 juin 1993
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