Sunday 14 November 2010

LÁBBÉ COTTTARD DÉCLINE LA RESPONSABILITÉ


Société 19/10/1999

L'abbé Cottard charge son prochain. L'accusé répète qu'«il n'est pas responsable» du raid tragique des scouts.

SANTUCCI Françoise-Marie


Guingamp, envoyée spéciale.

Une belle prestance et beaucoup d'incohérences. Hier, au tribunal de Guingamp (Côtes-d'Armor), l'abbé Jean-Yves Cottard, 52 ans, n'a en rien varié sa ligne de défense, la sienne depuis le drame qui coûta la vie, le 22 juillet 1998 au large de Perros-Guirec, à quatre scouts marins et un plaisancier. En substance: «Je ne savais pas, je ne suis pas responsable», et les familles des scouts morts comme les ecclésiastiques réunis dans la salle d'audience communient avec lui, attachés à ce guide spirituel d'un autre âge, cet homme habillé d'une soutane et de maigres mots qui ne sait plus rien, ou alors si peu. Accusé d'«homicides et blessures involontaires par manquements délibérés à des obligations de sécurité et de prudence», Jean-Yves Cottard, qui risque cinq ans de prison, n'a cessé de louvoyer.

Pas de diplômes. Personne, dans ce camp de scouts marins, n'avait les diplômes nécessaires à l'encadrement d'une activité nautique. Tous s'en remettaient à l'abbé, qui lui-même s'en remettait aux autres. «Mais vous faisiez quoi exactement?» finit par lancer le procureur Michel Belin à un abbé qui perd de sa superbe au fil des heures. Pas grand-chose. Superviser. Et la sécurité, les compétences? Qui décidait quoi dans ce camp de Trédez-Locquemeau? L'abbé se défausse sur son adjoint, Jean-François Pepe, dont le témoignage fut, involontairement, le point d'orgue d'une journée de dupes.

Un air de Tintin à lunettes, mais sans aucune malice, Pepe lâche n'y rien connaître en voile. La présidente Maryvonne Lecuyer, pugnace, le reprend: «Depuis ce matin, je cherche désespérément à savoir qui était le responsable de ce camp.» Le nez dans ses chaussettes, Pepe bafoue: «Je faisais confiance à l'abbé.» Un abbé qui, malgré ses fanfaronnades juste après le drame (il affirmait être un ancien officier de marine, être rompu à la navigation), n'a plus d'autre alternative: avouer son incompétence. Le mauvais état des bateaux? «Je ne savais pas.» Les tests de natation? «Je n'ai pas vérifié.» Les enfants en surnombre sur les caravelles? «Je n'ai pas fait attention.» Assis juste en face des trois magistrats, Jean-Yves Cottard, aussi droit qu'un prie-dieu en début d'audience, s'affaisse peu à peu.

Sa voix se fait plus sourde, plus nasillarde. Pourtant, en vingt-cinq ans de prêtrise, cet homme a su en forger, des caractères. Responsable du prieuré Saint-Jean à Mantes-la-Jolie (Yvelines), l'abbé dirigeait parallèlement un mouvement de jeunes garçons, Marine Education Jeunesse, affilié à l'Association française des scouts et guides catholiques, qui n'est reconnue ni par les instances du scoutisme, ni par le ministère de la Jeunesse et des Sports. Malgré ses fréquentes références à Baden-Powell (le fondateur du scoutisme), l'ambition de Cottard se voulait plus martiale. Il s'agissait de «prévenir la délinquance juvénile et la toxicomanie par les activités de mer; de préserver ces jeunes garçons des dépressions et autres prédispositions à la déchéance ou à la destruction de soi». Quitte à user de méthodes radicales. Ainsi, un témoin raconte la fatigue sur les visages de ces gamins, quand ils furent obligés de camper sur un mauvais sol de galets, le premier soir du raid, l'ordre venait de Cottard, mais évidemment, il ne s'en souvient plus très bien.

Lecture de la bible. Au théâtre de Guingamp où est retransmis le procès, les proches de l'abbé, s'ils sont là, se font discrets. Pas comme dans la salle d'audience, où quelques prêtres en soutane lisent silencieusement la bible (en latin), quand les familles des victimes, toujours aussi soudées derrière Jean-Yves Cottard, ricanent à l'exposé de la vie dans le camp. Une semaine avant le drame, un simulacre d'accident d'avion occupe la trentaine de garçons. Le but: savoir qui sont les traîtres à l'origine du crash ­ on apprend que tous l'étaient, à la fin de ce petit jeu qui dura trois jours. Autre anecdote: un témoin croise, mi-juillet 1998, quatre des scouts en maraude dans la campagne. Sans un sou, sans nourriture: «Juste une botte de carottes pour tenir pendant les deux jours de ce raid terrestre.» Et Cottard? La seule chose qui le chiffonne, c'est l'emploi de ce mot: raid. «Ça fait trop militaire.» Ce même fatal été, un second témoin trouve sur sa route un petit scout. Seul, il doit parcourir une cinquantaine de kilomètres. Il crève de faim. Quatre de ses condisciples le rejoignent: à cinq, ils n'ont pour toute nourriture qu'une boîte de raviolis et une pastèque. Et toujours pas d'argent. L'abbé bafouille ­ que peut-il encore dire?

Le procès doit se poursuivre jusqu'à ce soir.


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