Scoutisme
Un apôtre de l'extrême droite
Par Charles Gilbert, Rosso Romain, publié le 06/08/1998
L'abbé Cottard est non seulement le chef musclé d'un camp scout meurtrier, mais aussi un prêcheur zélé de la cause chouanne, un proche du FN
J'ai eu, un jour, une réflexion charmante d'une personne qui me confiait son fils. Nous partions en camp de scouts marins et, bien sûr, nous allions faire du bateau. Or elle s'inquiétait et elle me dit: ??Faites attention, je n'en ai qu'un! ''(...) A tous ces parents, je leur dis: ne vous inquiétez pas, j'ai deux contrats d'assurance extraordinaires que je vous propose de souscrire: le premier, c'est Saint Joseph Assistance, le second, c'est Ange gardien 24 h/24. (...) Chaque fois que nous avons un problème, je dis aux enfants: nous allons demander à saint Joseph, et le problème se résout immédiatement»...
Ces paroles édifiantes sont celles de l'abbé Jean-Yves Cottard, responsable du camp de scouts marins où quatre adolescents et un plaisancier venu leur porter secours ont péri noyés au large de Perros-Guirec (Côtes-d'Armor), le 22 juillet dernier. Elles sont tirées d'un sermon prononcé, le 6 septembre 1992, lors de la messe de la Journée chouanne de Chiré-en-Montreuil (Vienne), un des grands rendez-vous des catholiques traditionalistes. Le prêtre faisait ainsi une confiance aveugle à la Providence, qui semble malheureusement l'avoir trahi. Il est aujourd'hui accusé d'avoir laissé partir sept gamins de 12 à 16 ans sur une mer démontée sans aucun accompagnateur, malgré l' «avis de grand frais» lancé le matin par Météo France et prévoyant des vents de force 6, malgré les exhortations de pêcheurs qui avaient déjà secouru les scouts la veille, malgré les remontrances dont son association avait fait l'objet en 1997, à l'occasion d'une inspection du ministère de la Jeunesse et des Sports...
On s'attendait à voir les parents des victimes fustiger l'inconscience de l'abbé, incarcéré à Saint-Brieuc pour «homicides et blessures involontaires et non-assistance à personne en péril». Non seulement ils n'ont pas porté plainte, mais ils ont bruyamment réclamé sa libération pour qu'il puisse assister à la messe de funérailles des enfants. En vain. «C'est notre père, le médecin de nos âmes, et nous avions plus que jamais besoin de lui: il n'a pas voulu ce drame, alors pourquoi l'enfermer comme un vulgaire malfaiteur?» demande Bertrand Pruvost, ingénieur, la cinquantaine, père de cinq enfants, dont l'aîné, Jean-Baptiste, 16 ans, a péri dans le naufrage. «Mon fils est parti le premier, en protégeant les petits: il a obéi jusqu'au bout à la loi scoute.» Les familles des victimes se réfugient d'un même élan dans le fatalisme et la ferveur religieuse. Elles ne comprennent pas l'indignation provoquée par leur attitude, qui semble dédouaner leur abbé, et se disent victimes d'une cabale médiatique. «Cette affaire a été exploitée de façon honteuse, s'indigne Bertrand Pruvost: on nous colle l'image de fanatiques d'extrême droite. Mais nous n'avons rien à voir avec le Front national: intègres, oui, mais intégristes, non!»
N'empêche qu'il ne s'agit pas de n'importe quels scouts: l'organisation à laquelle appartient le père Cottard est clairement marquée à droite de la droite et pratique une pédagogie musclée, en accord avec ses idées, qui consiste à traiter les enfants «à la dure» pour leur inculquer les valeurs éternelles de l'honneur, de l'effort et de la discipline. Fondée en 1980 par Pierre Monet, un disciple de Mgr Lefebvre, l'Association française des scouts et guides catholiques (AFSGC) appartient à la branche la plus radicale des catholiques schismatiques qui refusent les réformes du concile Vatican II et dénoncent pêle-mêle l'oecuménisme, la théologie de la libération, le marxisme athée, la décadence des moeurs et le «matérialisme du capitalisme libéral». Ses membres participent, le 1er mai, au défilé lepéniste de la fête de Jeanne d'Arc, ainsi qu'aux fameuses Journées chouannes organisées par un certain «centre de Chiré», en fait la maison de vente par correspondance de livres intégristes Diffusion de la pensée française (DPF), qui se réclame d'Henry Coston, auteur de pamphlets contre le prétendu «complot judéo-maçonnique».
Outre l'abbé Cottard, on y rencontre des croisés de tout poil, des monarchistes, des nostalgiques du maréchal Pétain, des militants anti-avortement, des révisionnistes, comme Henri Roques, des journalistes du quotidien prolepéniste Présent et des membres du bureau politique du FN, tel Jean-François Galvaire.
Par ailleurs, Pierre Monet, commissaire général de l'AFSGC, a reconnu, dans un entretien avec l'AFP, avoir organisé des camps de vacances en association avec les Cadets de France et d'Europe, la branche juvénile du Cercle national des combattants de l'ancien para Roger Holeindre, vice-président du FN. Salut au drapeau, chants militaires, stages de survie et discipline de fer sont au menu des enfants de 8 à 14 ans, sous la férule de prêtres en soutane et rangers. «Une logique de secte», a dénoncé la mère d'un adolescent qui a participé l'an dernier à l'un de ces camps d'été en Bretagne: «C'était pire qu'à l'armée, il est revenu en ayant appris des chants fascistes.» Sous prétexte de tremper leur caractère, on en vient ainsi à embrigader les jeunes tout en les livrant à eux-mêmes au mépris de toutes les règles de prudence. Ainsi le naufrage de Perros-Guirec n'est-il pas un dérapage isolé. Quelques jours avant le drame, on apprenait que 72 fillettes participant à un camp de Scouts d'Europe, dans le Cantal, avaient été victimes d'insolation, après avoir assisté à une messe en plein cagnard. Une semaine plus tard, le responsable d'un camp des scouts Saint-Louis, autre organisation de la mouvance traditionaliste, a été entendu par les gendarmes pour avoir abandonné un adolescent de 14 ans en pleine forêt de Mervent, en Vendée, en l'obligeant à rejoindre le campement à 18 kilomètres, sans nourriture et sans boussole... pour le punir d'avoir triché en faisant de l'auto-stop lors d'un raid.
«Mes deux autres fils continueront à fréquenter les scouts», assure Bertrand Pruvost, qui renouvelle plus que jamais sa confiance à l'abbé Cottard. Il comprend la réaction de la mère du jeune plaisancier mort en sauvant les enfants, la seule pour l'instant à avoir déposé plainte et à s'être portée partie civile. «C'était son fils unique et je partage sa douleur, qui doit être terrible. Nous avons la chance d'avoir d'autres enfants, et cette foi en notre Seigneur qui nous aide à supporter l'épreuve, ce qui ne semble pas être son cas. C'est pourquoi nous avons cherché à la contacter, pour la remercier et la réconforter. Mais nous n'avons pas reçu de réponse pour l'instant.»
No comments:
Post a Comment