« Monseigneur Lefebvre ? On le poussera au schisme ! »
Ecône EN CRISE
J’ai signalé ci-dessus le changement de mentalité chez nombre de séminaristes entrés à Ecône à la fin du mois de septembre 1972, avec des séminaristes plus âgés, plus durs, intransigeants, catégoriques, sédévacantistes, « intégristes » dirais-je pour parler clairement, extrêmistes. Les indiscrétions faites volontairement par certains professeurs, sur mon opposition à Mgr Lefebvre à propos du « JAMAIS … OU ALORS », avaient causé un émoi profond dans la communauté. Mgr Lefebvre partant sans cesse en tournées, je dus affronter une situation nouvelle : un séminaire divisé en deux tendances à peu près égales. Il y avait un très grand risque d’éclatement. Les conciliabules se multipliaient, des petits groupes se formaient, en présence souvent de l’Abbé Gottlieb et du Chanoine Berthod. La lutte pour le pouvoir était ouverte.
Mes interventions à propos de la formation aux arts martiaux et aux chants « révolutionnaires » royalistes ou fascistes, donnèrent l’occasion aux « durs » de me présenter comme un élément progressiste, hérétique. Fin décembre 1972 M. Sanfratello, déclarait déjà aux Abbés Jacques Seuillot et Bernard Lucien : « Il faut avertir Monseigneur que les cours de l’Abbé Masson sont hérétiques ». Dès la rentré de janvier 1973, les cours d’Ecriture Sainte sont très tendus. M. Agostino Sanfratello et les Abbés Jacques Seuillot et Bernard Lucien, auxquels s’adjoint l'Abbé Philippe Le Pivain, font parvenir une note à Mgr Lefebvre lui disant que ces cours sont contraires aux déclarations de la Commission Biblique. Le 19 janvier, à la fin du cours, l'Abbé Philippe Le Pivain m’interpelle à propos de l’Evangile de saint Mathieu : « Votre cours sur saint Mathieu est en contradiction avec les décrets de la Commission Biblique ».
La « chasse aux sorcières » avait commencé. D’autant plus que j’avais osé refuser la célébration d’une Messe à l’occasion de la mort de Louis XVI le 21 janvier ! (1) Une Messe sera toutefois célébrée, à mon insu, par le Chanoine Berthod.
Le Marquis de la Franquerie, ami de Mgr Lefebvre et de l’Abbé Gottlieb, bien connu pour sa campagne en faveur du retour à la Monarchie, et pour ses « études » généalogiques faisant descendre nos trois lignées de Rois à David en personne, en ligne masculine ; bien connu aussi pour les recherches qu’il fit faire par des hommes-grenouilles dans la Seine, à Rouen, pour retrouver le cœur de Jeanne d’Arc [il m’a raconté lui-même à Ecône, que lesdits hommes-grenouilles avaient découvert le cœur, qui battait toujours, mais s’éloignait dès qu’on voulait le saisir…], le Marquis de la Franquerie, donc avait écrit lui aussi à Mgr Lefebvre à mon sujet : « Je viens d’apprendre qu’une attaque de grand style est lancée… pour détruire votre séminaire. Ce qui me paraît plus grave, c’est l’attaque par l’intérieur. J’ai su en effet que l’abbé Masson conservait des relations suivies avec son Evêque d’origine, Monseigneur Ménager, qui était loin d’avoir notre confiance à Versailles… En conscience, je dois vous dire que ce prêtre ne m’a jamais inspiré confiance et m’a toujours paru superficiel, le ver dans le fruit » (photocopie de l’original, archives personnelles).
Dès son retour d’un assez long voyage consacré à des conférences et à des Confirmation, Mgr Lefebvre fut assiégé littéralement par une meute de séminaristes voulant sauver le séminaire du "danger progressiste" qui le menaçait. Devant l’impossibilité de pouvoir avoir immédiatement un entretien substantiel avec lui, je rédigeai, le 25 janvier, un rapport détaillé de 6 pages, présentant la situation « actuelle » du séminaire, avec tous les problèmes graves qui venaient de surgir, et je terminai en demandant le départ, motivé, de la moitié des séminaristes, les trublions qui s’adonnaient au karaté, aux chants royalistes, et se préparaient à convertir la France avec la Messe de Saint Pie V.
L’entretien dura longtemps. Mgr Lefebvre écoutait avec attention. Je lui dis que le choix dépendait de lui : ou bien il choisissait de « tailler dans le vif » en écartant tous les éléments qui pourraient conduire à un durcissement fatal, ou bien le séminaire courait le risque d’éclater, voire de disparaître. Personnellement, je ne me sentais plus en mesure de diriger un séminaire où les séminaristes ne se conformeraient pas entièrement et sur tous les points à toutes les orientations prises au début par le Fondateur lui-même.
Il y eut un long silence. Mgr Lefebvre réfléchissait ; mais je n’avais aucun doute sur son choix. Entre la tendance modératrice que j’incarnais, et qui était celle de nombre de séminaristes, et la tendance dure, je savais qu’il choisirait la tendance dure, car « la nature a peur du vide ». Mgr Lefebvre savait qu’il pouvait compter sur ce facteur humain important : la peur de quitter une chose bien établie, même si elle s’écarte des sentiers, pour s’en aller à l’aventure, vers l’incertitude, même si cela devait aboutir à la consécration d’Evêques.
Ma collaboration avec Mgr Lefebvre en qualité de Directeur était devenue impossible, c’était une évidence : nous n’étions plus sur la même longueur d’onde. Le Prélat ne pouvait avoir oublié ma réaction vive lors du Conseil des professeurs au mois de novembre 1972.
Mgr Lefebvre me demanda donc tout simplement de renoncer à la charge de Directeur, et de bien vouloir assurer, signe de toute la confiance qu’il avait en moi, me dit-il, tout son propre secrétariat, y compris les courriers privés. Le changement se ferait le 2 février suivant : M. le Chanoine Berthod me succèderait comme Directeur.
J’aurais pu quitter Monseigneur Lefebvre dès ce moment. Mais, Mgr Adam, Evêque du lieu, me conseilla de rester encore, « tant que vous jugerez que vous pouvez avoir quelque influence pour un éventuel redressement de la situation, et surtout pour aider les séminaristes qui se sont confiés à vous, et qui, si vous partiez, se trouveraient désemparés… avec tous les risques que cela comporterait pour eux ».
(à suivre)
Mgr Jacques MASSON
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(1) Ce point ayant ému quelques lecteurs, il me paraît nécessaire d'apporter les réponses suivantes. Plusieurs séminaristes étaient venu de demander de célébrer une messe de communauté pour Louis XVI. J'en ai pris note et, comme c'est la règle en la matière, j'ai demandé l'avis du Conseil des professeurs, en exposant le "pour" et le "contre". De soi, il n'y avait évidemment aucun "mal" à célèbrer une messe à cette intention. Mais nous étions dans un séminaire, et international de surcroît. Etait-ce opportun ?
Le Conseil des professeurs a effectivement fait observer que nous étions dans un séminaire et dans un séminaire international, avec des séminaristes américains, anglais, allemands et italiens et que même parmi les séminaristes français tous n'avaient pas les mêmes orientations politiques. Le plus opposé était le Chanoine Berthod, des Chanoines du Saint-Bernard, professeur au séminaire, qui, en tant que suisse, a-t-il souligné, a insisté sur le fait qu'il n'y avait aucune raison de mêler un séminaire international à l'histoire de France. Le Conseil a ainsi donné un avis UNANIME, qui n'était donc pas seulememnt le mien, pour éviter tout malentendu, toute confusion et toute polémique éventuelle entre les séminaristes.
Il m'appartenait, comme Directeur, de décider. Ce que j'ai fait, en assumant mes responsabilités, notamment auprès des séminaristes qui m'avaient présenté cette demande, et auxquels j'ai exposé les raisons du refus opposé. Le comble est que c'est le Chanoine Berthod, suisse, qui s'était pourtant le plus opposé à cette messe, qui l'a finalement célébrée, poussé par l'Abbé Gottlieb. Mais, comme je l'ai expliqué, le séminaire était en crise. La "guerre de succession" s'ouvrait et toutes les occasions étaient bonnes pour essayer de destabiliser le Directeur, devenu le "progressiste" qu'il fallait abattre et sur lesquel il était devenu stratégiquement utile de faire peser toutes les "fautes" et les "responsabilités" que l'on pouvait trouver.
Est-ce que la série complète de ces articles sera publiée ou mise en ligne?
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